luni, 3 decembrie 2007

cet effrayant génie

Balayant en trois mots les perfidies voltairiennes, Chateaubriand scella la gloire posthume de Pascal : « Cet effrayant génie... » Tant d'inventions, de combats, de fulgurances dans une vie si brève – Pascal meurt à 39 ans. Cet homme qui hait le moi ne cesse de se démultiplier. Le voilà tour à tour mondain et cloîtré, désespéré et cynique, mystique et calculateur. La diversité de sa pensée étonne. Savant, il invente la géométrie projective, le calcul des probabilités, la physique expérimentale ; juché au plus haut de l'Auvergne, son fief natal, il récuse l'antique théorie selon laquelle la nature aurait horreur du vide. Entrepreneur, il conçoit à 19 ans la machine arithmétique, qui préfigure la calculatrice, et vingt ans plus tard, lance dans Paris les carrosses à cinq sols qui sont nos premiers autobus. Homme d'action, il ferraille contre les jésuites, aux côtés des jansénistes. Penseur du politique, il définit une justice des ordres pour critiquer l'absolutisme. Écrivain, enfin et surtout, camouflé sous sept identités distinctes, il avance par fragments et invente un style qui allie l'esprit de géométrie à l'obsession du mot juste. Cet effroyable génie a choisi l'effroi comme règle de vie. Pascal écrit adossé au néant, noué par la peur de la mort. Il prophétise la condition de l'homme moderne qui, pour fuir ses angoisses, trouve refuge dans le divertissement. Il est le contemporain de nos petites misères et de nos grandes questions. Tout tremble chez Pascal, l'homme qui n'est que roseau pensant, son corps malade dont il ausculte le funeste délabrement, sa main qui écrit, volontiers hautaine et indéchiffrable. Comme tout génie, il se veut singulier. Et solitaire, cultivant le retrait, l'anonymat, la tentation de la pauvreté, la certitude de ne rien savoir : « Je ne sais qui m'a mis au monde, ni ce que c'est que le monde, ni que moi-même ; je suis dans une ignorance terrible de toutes choses; je ne sais ce que c'est que mon corps, que mes sens, que mon âme et que cette partie même de moi qui pense ce que je dis. » Dans ces conditions, comment ne pas choisir de s'en remettre à Dieu ?

jean-louis hue
„le magazine littéraire”, no. 469, novembre 2007

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